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NGOBI, ou comment devenir un homme après avoir été un Prince

Par une chaude matinée de lundi de juin 1957, un professeur d'école primaire – appelons le Mr Pierre Ferry- dans une école située dans la petite ville de Porto-Novo, est en colère, contre un de ses élèves, pourtant un de ses préférés qu'il surnomme « Ngobi ». Mr Pierre, un civilisateur colonial français plutôt sympathique, en 9ème année d'enseignement dans ce Bénin encore colonisé (le pays est devenu indépendant en 1960), entre dans sa classe par la porte arrière, marche à son rythme habituel de sénateur, en répétant machinalement quelque chose dans sa barbe à propos d'un vélo cassé. Tout le monde connait la relation presque filiale entre Mr Pierre et Ngobi, mais personne ne sait alors, que Ngobi devait ramener (en le tirant) le vélo chez Mr Pierre chez lui, tous les vendredis, après l'école. Le professeur pouvait ainsi prendre son rituel verre au cercle français avec ses collègues, (à moins que ce soit plutôt avec sa béninoise en pagne). Cette routine a plutôt bien fonctionné, des mois durant, jusqu'à ce qu'apparemment, un mauvais esprit (aussi appelé curiosité) se saisisse (le choix du verbe est important ici, au pays du Vaudou) de Ngobi. Ce jour-là, Ngobi décide de faire du vélo plutôt que de le tirer ! Il saute sur la machine et fou de joie, pédale sans arrêt sur le kilomètre et demi, qui le sépare de chez Mr Pierre. Une fois arrivé, à bout de souffle, toujours plein de joie, il réalisa seulement que ses jambes étaient trop courtes pour descendre du vélo. De la chute libre, qui s’en est suivie, Ngobi s’est sort avec juste une égratignure au coude, avant de découvrir, terrifié que le vélo n’a plus ni rétroviseur, ni béquille.

Un weekend plus tard, voici Mr Pierre dans sa classe, fulminant et très en colère. Lorsqu' enfin, il s’arrêta, ce fut pour dire d’une fois profonde comme dans un mauvais film de Nollywood, « Ngobi, au tabas » !

Ngobi signifierait « Prince » dans une langue d’Afrique centrale que Ferry aurait apprise lors de son séjour la-bas, (peut-être au Cameroun ou au Congo Brazzaville). Ferry exprimait ainsi à cet élève, sa confiance dans un avenir qu’il lui prédisait brillant.

Cependant l’avenir dans le très court terme n’était pas du tout radieux, car Ngobi pour la première fois, faisait face au supplice du Punisseur officiel de la classe. Sur la courte distance qui le sépare du punisseur, Ngobi cherche un soutien dans les yeux de ses amis, qu'il parcourt rapidement alors qu'il s'apprêtait à baisser son short kaki.

Même Fred, un de ses très bons amis (du moins c'est ce qu'il pensait) ne montre aucune compassion ! Dans leurs yeux, danse plutôt la flamme de ce sentiment mi-amusé mi-méchant, curieux d’assister à ce test ultime de virilité. Oui, l’expérience de ce châtiment équivalait apparemment à une cérémonie d’initiation traditionnelle.

Mais revenons au punisseur, ce grand bonhomme dont l'origine au Benin, était franchement inconnue. Des élèves affiliés à l’AICQ, l’Amicale Internationale des Commérages de Qualité, (il parait qu’elle existe toujours, et n’a toujours pas refusé la moindre demande d’adhésion à ce jour), ont établi que ses parents, d’une famille royale (descendant de La linguère Ndaté Yalla Mbodj ou Ndete Yalla, -1810-1860- la dernière grande reine du Waalo, un royaume situé dans le Nord-Ouest de l'actuel Sénégal), fut exilée au Bénin, après la capture de leur royaume par l’armée française.

Aucun moyen de prouver cela, mais le mec semblait vraiment porter toute la colère de tout un royaume en lui, au point de pleurer lui-même quand il tabassait ses malheureux élus ! Avoir 16 ans dans une classe où la moyenne d'âge était proche de 9 ans, devait être peu agréable, et la description que j'ai reçue du Punisseur, me fait encore penser au personnage de John Coffey joué par Michael Clarke Duncan dans le film La Ligne Verte sorti en 1999, et basé sur le roman du même nom de Stephen King.

Quoi qu’il en soit, et pour résumer :

  • Le grand bonhomme, le punisseur, l’héritier du Waloo, a puni et pleuré en frappant le prince.
  • Ngobi, le prince, bien tabassé par le roi sans royaume, a pleuré beaucoup, aussi, et pouvait à peine rentrer chez lui à pied. Dans cette histoire d’un prince et d’un héritier au trône sans royaume, la bonne nouvelle est que le Prince est devenu un homme, un homme qui ne refera jamais fait de vélo de sa vie.
  • Mr Pierre Ferry, un peu abattu après la punition, a promis à Ngobi de lui apprendre à faire du cheval un jour. Mais ce jour-là n’est jamais arrivé, puisque Ferry a dû quitter le pays, à la suite de son affectation seulement quelques mois après cet accident. Qu’est-il advenu de sa béninoise ? Les archives de l’AICQ nous en diront plus dans e prochain billet de ce blog. Je ne sais pas encore.

Mais ce que je sais, c’est que les capacités de reproduction de Ngobi n’ont pas été affectées par cette rude punition et qu’il a eu quatre enfants (dont moi-même), et qu’il est devenu professeur d’histoire et de géographie. Bien qu'il ne se soit jamais acheté un vélo, Ngobi m'a bien acheté mon premier vélo juste avant mon entrée en classe de 6eme, un jour de juillet 1991, avant de me raconter l’histoire de sa première expérience de vélo.

Il va sans dire que je me suis senti horrifié, pour Ngobi et pour le punisseur. Mais cette expérience a littéralement lancé mes questionnements sur la colonisation, l'histoire, les jours d’avant comme dirait le philosophe sénégalais (en référence à notre héritier du Waloo) Souleymane Bachir Diagne. S’est alors ouverte, une série de conversations culturelles, philosophiques et historiques avec mon père au cours des 30 années suivantes. Alimenté par la livraison hebdomadaire du magazine « Jeune Afrique » et par mon accès anticipé à ses nombreuses collections de livres et d'encyclopédies, dont le Dictionnaire de la langue française d'Émile Littré (communément appelé « Littré », dictionnaire en quatre volumes de la Langue française), j’ai suivi le fil sans jamais en trouver le bout. Au fil des années, appeler Ngobi à l’occasion d’une information entendue sur RFI, (Radio France Internationale) pour lui demander « alors t’en dis quoi de cette histoire ? C’est quoi ta version ? »

La dernière fois que j’ai eu la version de Ngobi, c’était en décembre 2021, je l’ai appelé de Beyrouth, au Liban, et lui ai déclaré péremptoire, et avec enthousiasme : « Enfin ! Je comprends mieux la présence de Libanais en Afrique de l’Ouest » et lui de répondre : « Oui ? Dis-m’‘en plus » dans cette voix qui se traduit en réalité par « Voyons, voyons … », alimentant automatiquement ma détermination à avoir le dernier mot.

Le jeudi 14 décembre 2021, Ngobi a quitté cette partie du monde. Mettant fin aux lignes de communication conventionnelles

Fini les conversations excitantes.

Fini les « Qu’en dis-tu ? » et la stimulation intellectuelle qui accompagne chaque interaction.

Perdue aussi, l’inspiration d’écrire et de faire des podcasts sur ces sujets.

Deux ans après son grand départ, ce blog est ma meilleure tentative pour poursuivre mes conversations ou plutôt de les imaginer : quel serait son point de vue sur les récents coups d'État au Gabon et au Niger, la guerre en Ukraine, les nouvelles lois sur l'immigration en France, la renaissance africaine ressentie ou perçue à venir, de la préservation du patrimoine africain, d’un prochain volume de mon livre etc…

Ce blog est la concrétisation d'un désir de préserver et de partager les réflexions et les convictions d'un véritable champion (certes déçu) du panafricanisme, dans l'espoir que toi, qui me lis, puisse être inspiré pour t’engager dans les conversations similaires avec tous Les Ngobis autour de toi, pendant qu’ils ou elles peuvent encore te parler.

Chaque article de ce blog explorera un évènement récent, passé ou même futuriste dans la politique, la culture, la musique, les arts et bien d’autres encore dans le contexte de l’histoire et de l’évolution de l’Afrique.

Si tu as lu ce billet jusqu'à présent, j'espère t’avoir convaincu de t’abonner et plus important encore, de te rappeler qu'il s'agit d'une conversation, donc ton avis et celui de tes Ngobi, sont les bienvenus, dans les commentaires.

En attendant la prochaine version de Ngobi….